Guy Walch, 

Né le 21/01/1933 à Zürich, Suisse – nationalité suisse. Marié, 3 enfants, 7 petits-enfants.

Études primaires et secondaires en Belgique entre 1939 et 1951.

Philosophie et théologie à Fontainebleau et Lille (facultés catholiques) jusqu’en 1955.

Responsable des rayons de philosophie, théologie et sciences (assortiment et vente) à la Librairie de l’Édition Universelle de 1957 à 1962.

Diverses fonctions éducatives, techniques, commerciales et de direction de 1962 à 1992 chez IBM (dernière responsabilité : directeur général adjoint d’IBM-Belgique). Deux affectations à l’étranger : USA et France.

Depuis 1992, retraite consacrée à l’étude et l’écriture : philosophie, sciences naturelles, sciences sociales et environnementales. Rédaction de nombreux textes de philosophie, d’analyses des évènements géopolitiques  et d’histoire contemporaine et d’autobiographie intellectuelle. Liberté est le premier ouvrage publié chez L’Harmattan en décembre 2017. D’autres textes sont en cours d’écriture.


Le 30 janvier 2019

  

  Autant « Liberté » que les deux cahiers (« Égalité » et « Démocratie ? » qui ont suivi ne peuvent s’entendre que selon la vision globale de la réalité qui les supporte. Cette dernière s’inscrit d’emblée dans une lecture radicale — personnelle et non traditionnelle — des fondements spinoziens. Spinoza a lu les philosophes qui l’ont précédé en poussant leurs thèses jusqu’à leurs derniers retranchements logiques et, se faisant, les a radicalement dépassés. À rebours, des encensements les plus dithyrambiques aux critiques les plus acerbes, la plupart des philosophes occidentaux ont, depuis la mort du philosophe, cherché à avoir leur Spinoza dans une perspective très éclectique (voir Henri Meschonnic — Spinoza — Poème de la pensée, CNRS édition 2017). Il leur fallait d’une manière ou d’un autre l’enter à la tradition plutôt que de résolument la dépasser. J’essaye de me limiter à ce dépassement pour penser le monde où je vis, dans ma propre langue. Il n’y a donc toujours aucune prétention au spinozisme (comme déjà dans « Liberté ») ou à se mêler d’histoire de la philosophie. Le premier exemple, qui vaut pour l’ensemble, se trouve dans sa définition de substance unique (je parle de teneur unique) et de l’immanence absolue qui en découle. La substance est seule réelle, elle est tout le réel. L’infiniment infini. Les choses finies, entre autres, n’en sont en rien différentes. Elles n’en sont que les modes (ou les expressions) immédiats et éternels. Il n’y a donc aucun arrière-monde possible — aucune trace de dualité ou de transcendance donc — sur lequel nous pourrions fonder une vérité unique et une prétention à tout connaitre. Nous ne pouvons connaitre de Dieu que les choses finies singulières. Ce que nous pouvons connaitre de Dieu est la singularité de certaines parmi leur infinité modale. Toute chose singulière est donc égale en nature, de teneur égale comme modifications d’une unique teneur. En revanche, lorsque les choses existent – produites par d’autres ou en produisant d’autres – dans la chaine temporelle des causes et des effets, entre apparition et disparition, entre naissance et mort, « les lois communes de la nature les déterminent et non directement Dieu ». Ces lois existent et agissent dans le temps. Elles y sont elles-mêmes soumises. Leur invariance par rapport à la volatilité des choses qui nous environnent ne repose que sur la durée très longue de leurs répétitions causales. Les lois agissent donc dans l’existence, elles ne sont pas éternelles. Seraient-elles éternelles, qu’elles devraient être aussi transcendantales pour agir sur le monde ? Or il n’y a aucune transitivité entre la substance et ses modes, sauf à réintroduire une dualité illégitime. Dieu ne légifère pas et ne nous parle pas. La connaissance inadéquate des choses — la plus courante qui nous branche au monde et domine initialement — concerne les apports des sens et leur traitement par l’imagination. Cette dernière nous fait nous raconter les effets des choses sur notre corps/mental et non leur propre composition de rapports. La connaissance adéquate des choses répond au comment elles existent. C’est-à-dire à l’ensemble le plus complet possible et toujours perfectible des rapports (notions communes) qui les composent en interaction continue dans la chaine temporelle des causes et effets. La réponse au pourquoi est la même pour toutes choses, existantes ou non. Elle est intuitionnée dans la notion même de singularité (tel mode exprimé éternellement par la substance) qui est naturante. Les singularités sont les scintillements du naturant au cœur du naturé ! Tout mon effort pour comprendre Spinoza va dans ce sens. Il s’est agi depuis très longtemps d’essayer de bien lire la Prop. 24 de la cinquième partie de l’Éthique : « Plus nous comprenons les choses singulières, plus nous comprenons Dieu ». La parenthèse redondante en néerlandais : « of wy ook meer verstandt van God hebben » souligne ce plus. J’aime à y lire non seulement plus, mais aussi le plus que nous ne puissions en comprendre. Les choses singulières ne sont en effet pour Spinoza que des modes finis des attributs de Dieu. Indistinctes de Dieu en teneur, mais nécessairement distinctes pour un esprit fini qui n’est lui-même qu’un mode parmi une infinité d’autres de même teneur. Et c’est bien là tout ce nous pouvons savoir : d’autres choses singulières ! S’ouvre un champ d’altérité tout à fait temporel où pourtant scintillent des éclats d’éternité. Cette proposition soutient la conviction qu’une part de nous-mêmes est éternelle. Partie V — Prop. 23. « L’esprit humain ne peut pas être absolument détruit en même temps que le corps ; mais il en reste quelque chose qui est éternel ». Pour moi, le cum latin devrait se comprendre ici hors de toute référence temporelle (en même temps), mais comme l’occurrence simultanée d’avec. Je le comprends ainsi : le mental est l’idée du corps (n’est que…) ; dans l’existence (la durée), ce corps/mental reste branché au monde temporel par les sens ; à la mort, aucune perception, aucun souvenir, aucune image… ne l’affectent plus ; ce corps/mental est éternel comme singularité, qu’il existe, n’existe plus ou pas encore. Chaque chose singulière est un mode de l’infiniment infini dont nous savons sous regard d’éternité qu’il est naturant. C’est-à-dire éternellement exprimé ici par la Nature naturante sous les deux attributs d’étendue et de pensée. Corps/mental est donc un tout, comme l’est idée du corps. Ils doivent s’entendre comme des syntagmes marqués par le génitif hébraïque. Chaque fois, deux totalités juxtaposées constituent une unité nouvelle. Il y a donc bien simultanéité et non succession. La proposition éclaire aussi l’apparence initialement utilitaire et égoïste du conatus. Partie III, Prop. 6 : « Chaque chose, autant qu’il est en elle, s’efforce de persévérer dans son être ». Partie III, Prop. 7 : « L’effort par lequel toute chose tend à persévérer dans son être n’est rien de plus que l’essence actuelle de cette chose ». Ainsi toute chose singulière qui existe effectivement est effort de persévérer dans son être. Le conatus commence par attester du caractère naturant de l’essence des choses singulières. Il exprime ainsi l’essence éternelle de chaque singulier. Au niveau naturé, « les choses qui sont finies, et ont une existence déterminée, n’ont pas pu être produites par la nature absolue d’un attribut de Dieu », mais par l’enchainement des causes et des effets entre compositions finies. C’est à ce niveau que l’effort de persévérer dans son être se déploie durant son existence déterminée. Dans le cours des existences (la durée, le temps, l’histoire), rien d’autre que le conatus n’atteste de la substance cause de soi et de la teneur égale de tous ses modes. Seul, il révèle la singularité naturante, donc la souveraineté de chaque chose. Cette nature consiste à insister et à persister dans l’existence à la mesure de ce que chaque chose peut. Ce pouvoir découle de son inaltérable souveraineté et procède dans l’existence entre un minimum et un maximum qui lui sont propres. La liberté s’inscrit dans ce procès. Elle libère de l’asservissement passionnel par la maitrise progressive qu’apporte la connaissance adéquate. Seule cette dernière permet de privilégier les passions positives et d’écarter, autant qu’il est possible, les négatives. Elle seule évite au désir — qui est l’essence même de l’homme — de se dévoyer et de dévaler au plus bas de ce qu’il peut. Ainsi la joie opposée à la tristesse, l’amour à la haine, l’aversion à l’accueil, la curiosité à l’indifférence… (voir tout le Livre III de l’ÉthiqueDes Affects). Cette vision globale du réel est profondément différente de la vision traditionnelle occidentale, autant de celle qui domine la scène philosophique depuis l’Antiquité que celle de l’opinion commune qui prévaut d’autant plus dans ces temps d’individualisme globalisé. Ici, la liberté n’est plus d’agir selon ce que l’on veut (libre arbitre), mais en se guidant sur la connaissance la plus adéquate possible des choses. Connaissance et liberté sont toujours de concert perfectibles. Le sujet du libre arbitre est une illusion. Un tel sujet est toujours déjà normé et ne cesse de recomposer son individualité selon l’évolution des normes qui l’assujettissent dans des groupes sociaux. Il n’a jamais comme tel d’essence propre. Il existe comme mode fini composé et sans cesse recomposé — pour la durée de son existence — dans la chaine causale interminable des modes finis. Il est donc privé d’essence en tant que sujet. Il existe toujours déjà « pris dans les mailles du pouvoir » (Foucauld). Il peut néanmoins progresser vers le plus qu’il peut dans la mesure même où il recherche la connaissance adéquate de ce qui le compose et compose les choses interagissant avec lui dans son environ. Toujours dans un cadre normé. Cette connaissance adéquate le libère peu à peu des illusions et des passions négatives qui font pesanteur et l’attire vers le moins qu’il peut. Lorsque la connaissance adéquate précède et maitrise les passions. Celles-ci sont loin de disparaitre (ce n’est en rien l’ataraxie stoïcienne), mais elles élèvent le sujet au sein d’un champ de parité où l’amour, la joie et l’enthousiasme le porte peu à peu vers l’intensité maximale de ce peut son existence propre. Lorsque la connaissance adéquate fait défaut et que les éruptions passionnelles la submergent, le sujet s’effondre peu à peu vers son point de nullité, agité en tous sens par la tristesse, la haine, poussé à la révolte ou la froide indifférence. Néanmoins, la libération s’accomplit toujours au sein de la société, respecte ses normes tout en privilégiant le savoir adéquat — et non un pouvoir imaginaire — pour les faire progresser vers une plus grande liberté collective. C’est parce que toutes les choses — dont les hommes — sont de teneur égale par leur singularité naturante que dans l’existence leur champ de l’altérité peut sans cesse s’élargir en élevant progressivement la coopération des simples niveaux utilitaires (les écosystèmes des niveaux les plus simples aux plus complexes) vers la richesse des rencontres et les passions joyeuses qu’elles procurent (l’amour des autres). En revanche, lorsque l’individualisme occulte ou ignore le caractère naturant de la singularité, qu’au sein du sujet le moi-je centripète domine et justifie ses replis sur soi incessants par des récits illusoires et inadéquats, les passions tristes l’emportent. La peur, les faux espoirs et le rejet de l’autre réduisent le champ de l’altérité à des cercles de plus en plus concentrationnaires ou à l’effondrement solipsiste. Ces quelques fondements directeurs doivent être entendus, pas nécessairement adoptés, pour juger de mon essai. La notion de liberté spinozienne — de moins la lecture que j’en fais — est indispensable pour comprendre l’angle d’attaque des thèmes envisagés.